Mais les relations entre les syndicalistes et la mairie ne sont pas simples. Il faut dire que le mouvement syndicaliste local de l’époque est très marqué par l’anarcho-syndicalisme. Les militants ouvriers refusent ainsi de suivre le mode de fonctionnement édicté par la Préfecture qui veut contrôler l’institution.
Le premier secrétaire de la Bourse, Benjamin PERONIN qui joue un grand rôle dans les mobilisations du 1° mai, est arrêté et la Bourse du Travail occupée par les forces de l’ordre.
C’est ensuite la Commission Administrative de la Bourse qui refuse de voir ses comptes vérifiés par la Mairie.
Enfin les autorités refusent les réunions politiques dans les lieux alors que la direction de la Bourse les encourage.
En représailles GAILLETON supprime la subvention initialement accordée et ferme le bâtiment en janvier 1892.
Mais devant la forte pression des salariés la réouverture est accordée en décembre 1892 après des concessions réciproques. Un meeting enfiévré avec 800 personnes fête l’évènement.
Les problèmes perdurent et la Compagnie du Gaz coupe l’éclairage en janvier 1895. Nouvelles luttes, nouvelles tractations, nouvelles concessions, la Mairie accepte finalement de rétablir les subventions pour payer les factures.
Ce ne sont pas de simples péripéties. En effet ce genre d’affrontement se retrouve dans toutes les villes. C’est un réel conflit entre les Pouvoirs Publics qui essayent de contrôler et institutionnaliser l’activité syndicale et les militants de l’époque qui veulent certes créer des services à caractère social pour les travailleurs mais en même temps les entraîner à la grève générale seule capable, selon eux, d’abolir l’exploitation capitaliste.
De ce point de vue la Bourse du Travail fait preuve de sa capacité à fédérer les luttes de l’ensemble des secteurs professionnels en particulier autour de la revendication de la journée de 8 heures.
C’est même sous l’égide de la Bourse du Travail qu’est menée une grande grève de l’OTL (l’ancêtre des TCL) en 1891 qui fit grand bruit.
Comme les Bourses du Travail se sont constituées dans de nombreuses villes de France une Fédération des Bourses du Travail est créée au plan national.
En 1901 la Bourse du Travail de Lyon adhère à la CGT qui s’est créée à Limoges en 1895. L’année suivante, en 1902, c’est toute la Fédération qui adhère à la CGT au congrès de Montpellier. Cette décision est l’œuvre en particulier de Fernand PELLOUTIER, militant renommé et Secrétaire de cette Fédération de 1895 à sa mort en 1901.
Il faut insister sur ce moment essentiel pour la structuration du mouvement syndical ultérieur. La CGT, le seul syndicat à l’époque rappelons-le, est constituée dès lors à la fois par les syndicats des secteurs professionnels (métallos, mineurs, typographes, cochers, etc) et à la fois par les Bourses du Travail qui sont des structures locales rassemblant les salariés quelque soit leur profession sur une base de solidarité géographique.
L’originalité de la structuration du syndicalisme français (et pas seulement de la CGT) avec des structures professionnelles (les Fédérations) et interprofessionnelles (les Bourses du Travail) vient de là. En effet les Bourses du Travail ont donné naissance aux Unions Locales et aux Unions Départementales de la CGT. Cette structuration a été reprise par les nouvelles organisations syndicales apparaissant dans le paysage.
Mais revenons à notre récit historique. Même s’il est socialiste le nouveau maire de Lyon, Victor AUGAGNEUR n’aime pas le ton révolutionnaire et revendicatif des militants de la Bourse du Travail. Il coupe donc lui aussi les subventions en 1905. Des meetings vengeurs ont lieu. Le maire fait évacuer par la force la Bourse et la ferme en octobre 1905. Les syndicalistes se réfugient dans un café au 44 cours Morand puis, toujours dans le 6°, dans un local sur cour au 51 rue Tronchet.
Cette question du lieu de réunion est cruciale. N’oublions pas qu’à l’époque si le syndicat est légalement autorisé il n’a pas sa place dans l’entreprise ! On mesure les freins mis en œuvre par les patrons quand on sait qu’il faudra lutter 84 ans pour qu’après la grande grève de Mai 1968 le syndicat soit enfin reconnu dans l’entreprise.
Refermons la parenthèse.
Edouard Herriot, nouveau maire de Lyon, comprend la situation et calme enfin le jeu. Il rétablit la subvention, rouvre la Bourse en février 1906.
Cette dernière peut alors jouer pleinement son rôle : impulser les luttes pour des conquêtes sociales, tout en créant des services à caractère social pour les travailleurs, tout en cherchant à les émanciper par l’éducation populaire et la culture.
Ainsi à côté des services de placement, la Bourse du Travail crée un dispensaire pour les accidentés du travail en 1909. Elle crée aussi une bibliothèque pour éduquer les travailleurs. Des cours de formation sont donnés et sont financés par les entrées payantes aux « matinées artistiques » qui ont lieu le dimanche. Une caisse de secours est instaurée etc..
Les meetings reprennent mais toujours encadrés par la police. Jean Jaurès y participe. La Bourse édite dès 1893 un «Bulletin officiel » qui devient « le Travailleur syndiqué » en 1906 puis « Le Semeur » en 1908.
Les locaux de la Bourse cours Morand étant exigus et de plus en plus délabrés le bureau de placement est transféré au Palais de la Mutualité (actuelle place Antonin Jutard) dans le 3° arrondissement.
Edouard Herriot veut alors construire un bâtiment neuf pour abriter la Bourse du Travail. Mais la guerre de 14-18 repousse les échéances. Tony GARNIER conçoit un projet absolument magnifique pour la Bourse du Travail qui serait édifiée place Jean Macé. Mais pour des raisons budgétaires les plans sont remis au fond des tiroirs. C’est finalement seulement en 1930 que le Conseil Municipal vote les crédits et que l’architecte MEYSSON édifie à partir de 1931, face à la place Guichard, un bâtiment aux lignes résolument géométriques et épurées, très représentatives du modernisme de son époque.
La grande salle de réunion et de spectacle est le coeur de l’ouvrage. Le sculpteur Francisque LAPANDERY exécute un bas relief dans l’atrium. Mais c’est la frise sur la façade ouest qui constitue le clou de la décoration. Cette immense mosaïque qui pèse 2,5 tonnes et mesure 6,5 m sur 26,5 m est installée en 1934. Elle est l’oeuvre de Ferdinand FARGEOT et représente les différentes corporations de travailleurs qui côtoient évidemment Edouard HERRIOT et d’autres personnalités lyonnaises.
Dans ce nouveau lieu inauguré en 1934 se multiplieront les réunions et c’est ici que battra le coeur de l’activité syndicale comme cela a été dit plus haut.
Bien sûr la Bourse du Travail a beacoup évolué. Toute une série de services qu’elle faisait vivre alors ont cessé car les conquêtes sociales les ont rendu inutiles.
Ainsi les services syndicaux de placement ont disparu avec la généralisation des bureaux de placement dès 1935 qui aboutiront plus tard à l’ANPE. La prise en charge par la Villes puis par l’Etat des questions de subsistance rend moins nécessaire une certaine forme d’entraide. Il en est de même avec l’apparition des assurances chômages, des assurances-maladie, de l’aide publique aux indigents, de l’aide à l’enfance, de l’indemnisation des accidents du travail. C’est bien sûr la formidable avancée que constitue la Sécurité Sociale crée en 1946 par Ambroise CROIZAT qui rend obsolètes les dispositifs d’aide aux travailleurs confrontés aux aléas de la vie et du travail.
De son côté le développement de l’instruction publique et de la formation fait disparaitre la fonction éducative de la Bourse du Travail.
Mais l’activité syndicale elle-même a aussi beaucoup évolué.
Ainsi les Conventions Collectives crées dès 1919 -mais réellement appliquées à partir du Front Populaire en 1936- ont entraîné le développement des fédérations professionnelles nationales au détriment du syndicalisme interprofessionnel de proximité géographique symbolisé par la Bourse du Travail. L’activité syndicale s’est déplacés au niveau de la branche jugée plus stratégique car c’est là où avaient lieu les négociations. La branche paraissait dès lors plus efficace en terme d’acquis que l’activité locale paraissant plus stérile. .
Enfin la reconnaissance du fait syndical dans l’entreprise a rapproché l’activité syndicale du terrain. L’utilisation de la Bourse du Travail devenait en conséquence beaucoup moins systématique.